Pour certains, rien n’est facile. Rien n’est gagné d’avance. Même en France ! Un cliché? Non, juste la réalité : histoire d'un "parcours atypique".
Fabrice Lollia a accepté de retracer sa trajectoire, parfois semée d’embûches, mais souvent éclairée par les bonnes personnes. Sportif de haut niveau, gardien de la paix, officier de police judiciaire, officier de sécurité, docteur ès sciences, enseignant, conférencier et auteur. Parcours atypique me direz-vous ? Moi, je le qualifierais de riche et impressionnant !
Enfant, quels étaient vos rêves ?
Je voulais être policier comme mon père, et en même temps, je rêvais de devenir un grand sportif, comme Darcel Yandzi. Parce que de là où je viens, la réussite passe par le sport. Au vu de mes bons résultats en judo (champion Antilles – Guyane et Guadeloupe), j’ai été orienté vers une structure qui forme des sportifs de haut niveau. C’est ainsi que j’ai passé 6 ans en Bretagne, là où habitait ma marraine. Je ne retournais chez moi qu’une fois par an, et pendant les vacances, je travaillais pour financer mes études. Ensuite, j’ai intégré une licence STAPS, également financée par des petits boulots.
Puis, pour gagner ma vie, j’ai passé le concours de gardien de la paix : le début de ma carrière professionnelle, avec un travail de nuit dans le 19e arrondissement, l’un des plus criminogènes de Paris.
5 ans après, on m’a proposé de passer l’examen professionnel d’officier de police judiciaire, “parce qu’il restait une place à combler” et pas parce qu’on croyait vraiment que je l’aurais. Finalement, sur 13 postulants, nous avons été 3 à l’obtenir.
Puis j’ai décidé de passer les tests d’officier de sécurité. Là encore, certaines personnes ont essayé de m’en dissuader au prétexte “qu’on n’y admet pas les Noirs“. Si j’ai été admis haut la main, mon intégration n’a été effective que 3 ans après, en 2012, grâce à un recours administratif.
Qu’est-ce qui vous a poussé à reprendre vos études ?
Dans la vie, on croise toujours des personnes qui croient en vous, qui vous aident et qui éclairent votre chemin. C’est ce qu’a fait le Grand Rabbin de Paris que j’ai protégé pendant 6 ans. C’est lui qui m’a encouragé. En 2014, j’ai donc repris mes études : d’abord mon Master I* et mon Master II**, puis ma thèse de doctorat***.
Je crois qu’à ce moment-là, j’ai compris qu’un bagage plus sérieux pouvait m’apporter de meilleures chances d’évolution dans ma carrière professionnelle. J’ai aussi compris que tout était possible, que tout n’est qu’une question d’envie ou de passion.
*”Sciences de l’information et de la communication”.
**”Intelligence économique et analyse du risque”.
*** “Doctorat ès sciences de l’information et de la communication en recherche action (terrain) spécialisé dans la protection des entreprises par les nouvelles technologies de sécurité”
Thèse : “Aide à la décision en situation de crise. Les nouvelles technologies pour la prévention sécuritaire des entreprises : limites et opportunités”.
Pourquoi avoir choisi les sciences de l’information et de la communication ?
Les sciences de l’information et de la communication ont l’avantage d’être interdisciplinaires. Ce sujet s’inscrit dans le champ de la sécurité et il était parfaitement en rapport avec mes missions professionnelles qui m’ont amené 3 mois au Liban, puis 3 mois en Afghanistan. J’y ai assuré la protection de l’ambassadeur de France, en coopération avec le RAID. C’est d’ailleurs à cette occasion que j’ai pu développer une application de prévention et de sécurité pour les expatriés et les voyageurs d’affaires. Cela s’est fait dans le cadre de ma thèse de doctorat et avec l’appui de l’ambassadeur qui était préoccupé par l’augmentation des kidnappings d’expatriés.
Photos © Myriamax35
Si c’était à refaire ?
Toutes ces expériences m’ont enrichi, me permettent d’appréhender certaines choses sous des aspects différents et d’être plus humble. Que ce soit au Liban ou en Afghanistan, j’ai vu des gens vivre dans la plus grande misère. Malgré tout, ils étaient extrêmement généreux. Ça remet les choses à leur place. On mesure mieux la chance que l’on a. Tout cela a aussi influencé ma manière d’être : je m’adapte plus facilement aux événements et je suis plus attentif aux autres et à leurs besoins, aussi bien sur un plan professionnel que personnel. Finalement, mon parcours me permet d’être plus fort et d’accepter plus facilement les contraintes. Alors, je ne suis pas certain que j’aurais changé quoi que ce soit dans ma vie si c’était à refaire.
Quelles sont vos aspirations pour l’avenir ?
Je voudrais que mes enfants comprennent que tout est possible, qu’ils aient une vie plus facile que la mienne et qu’ils puissent faire les études qu’ils veulent. Je voudrais être un exemple pour eux.
Au-delà de tout cela, j’ai compris que je devais communiquer sur mon parcours atypique, pour casser les a priori et montrer que chacun peut s’engager dans la voie qui lui convient, que l’on soit Noir ou Blanc, homme ou femme, même si, pour certains (certaines), tout est plus difficile et que rien n’est gagné d’avance. Et puis, si je ne communique pas sur mes compétences et mes savoir-faire, personne d’autre ne le fera à ma place !
Comment les gens vous perçoivent-ils et comment vous percevez-vous ?
Mon entourage proche me perçoit comme un bosseur !
Je sais que certaines personnes m’apprécient beaucoup et sont heureuses de constater que j’atteins les objectifs que je me fixe. D’autres ont des réactions plus négatives et dévaluent ou mésestiment mon parcours, sans doute parce que je ne rentre pas dans leurs cases !
Mais je suis un électron libre et je poursuis mon chemin quoiqu’il arrive.
Je me perçois comme quelqu’un de rigoureux et de tenace. Et même si je n’ai plus d’idole comme dans mon enfance, je reconnais que je suis admiratif du discours fédérateur prôné par Denzel Washington.
Finalement, faire siennes les qualités que l’on apprécie chez les autres n’empêche pas d’être soi-même.
Qu’est-ce qui vous empêche de dormir ?Qu’est-ce qui vous révolte ?
L’inégalité ! Je pense sincèrement que si j’avais été Blanc ou si mes parents avaient eu une position sociale plus aisée, avaient bénéficié d’un vrai réseau de connaissances ou avaient fréquenté les “bonnes personnes”, j’aurais connu moins de difficultés, et j’aurais eu beaucoup plus d’opportunités en France. Malheureusement, certains préjugés sont encore bien ancrés dans notre pays.
À l’étranger, en revanche, mon CV et mes compétences particulières ont éveillé l’intérêt de diverses structures, que ce soit pour un poste de professeur dans une école d’officiers aux Émirats arabes unis ou pour un poste de directeur des organisations dans une société canadienne spécialisé en sécurité-sûreté.
La prochaine étape ?
Dès la fin de mon doctorat, j’ai poursuivi mes études avec un Executive MBA que je viens d’obtenir pour confirmer mon profil international. Avant cela, j’avais passé 3 mois en Angleterre, chez mon frère, pour réussir les entretiens en anglais.
Aujourd’hui, j’enseigne en anglais à Rennes School of Business et en français dans une école d’ingénieur (ISEN Yncréa Ouest) en Master cyber management de la sécurité.
Je suis également sollicité pour des conférences dans des séminaires d’entreprise. D’ailleurs, la prochaine aura pour thème “la surveillance de masse” au mois de novembre prochain.
Cela ne m’empêche pas de rester ouvert aux opportunités qui se présenteront ! Travailler à l’Union européenne ou à l’ONU, ou bien passer le concours pour devenir diplomate et travailler aux Affaires étrangères, ou encore prendre un poste de direction à la sûreté et la sécurité dans une grande entreprise, ou même me lancer dans l’entrepreneuriat dans le domaine des nouvelles technologies et de la transformation digitale : je ne m’interdis rien, car je sais qui je suis, ce que je suis capable d’accomplir et ce vers quoi j’aspire à évoluer !